A redécouvrir : les « Utopies réalisées » de la région lyonnaise

La chapelle de Firminy

La chapelle de Firminy

Il y a 40 ans, le treizième arrondissement de Paris a connu une opération d’aménagement qui l’a complètement métamorphosé. La construction en série de tours a fait débat mais on a aussi déploré l’absence des équipements promis et l’éviction des anciens habitants, « chassés » vers la lointaine banlieue. D’autres expériences contemporaines ont montré qu’on pouvait faire autrement : c’est le cas des cinq opérations menées en région lyonnaise qu’on a qualifiées « d’Utopies réalisées » :
* Le quartier des Etats-Unis de Tony Garnier à Lyon (1917-1934)
* Le quartier des Gratte-ciel de Morice Leroux à Villeurbanne (1931-1934)
* Le site Le Corbusier à Firminy-Vert (1953-1969)
* Le couvent de la Tourette de Le Corbusier à Evreux-sur-l’Arbresle (1953-1960)
* La cité des Étoiles de Jean Renaudie à Givors (1974-1981)

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Les cinq programmes, mis en œuvre à l’initiative de maires soucieux de répondre au besoin pressant de logements et plus particulièrement de logements sociaux, ont été conçus et réalisés par des architectes et urbanistes appliquant les idées du « Mouvement moderne ». Ce courant de pensée, qui a inspiré tout le XXe siècle, a eu l’ambition d’élaborer un contre-projet de société améliorant les conditions de vie des habitants au moyen d’une architecture de qualité. Les idées de ce Mouvement moderne, relèvent de l’utopie, dans le sens positif de la recherche d’un monde meilleur et d’une action d’avant-garde. L’invention proposée est en rupture avec les idées dominantes de l’époque ; elle n’est pas forcément réalisable dans l’immédiat, mais elle pourra être mise en application lorsque seront réunies les conditions politiques, économiques, sociales et culturelles adéquates. L’urbanisme n’est plus fondé essentiellement sur des règles esthétiques mais il est au service de l’homme et de ses besoins.

Cette architecture, qui s’inspire notamment de la Charte d’Athènes, repose sur un nouveau langage plastique : la géométrie et la simplification des formes lui donnent un caractère « universel », qui s’adresse à tous quels que soient le lieu, l’époque ou la condition sociale. La démarche se décompose en plusieurs phases : « diagnostiquer », « inventer », « agir ». On constate au départ l’urgence de construire et reconstruire, d’éradiquer les taudis mais le recours à l’utopie prend une dimension politique et sociale. L’homme nouveau doit disposer d’un espace qui lui est propre – cellule de moine ou cabine de paquebot – mais il doit aussi avoir accès à des services et lieux collectifs proches. La ville est un lieu où on habite des bâtiments conçus selon les principes de liberté de plan et de passage de la lumière mais, à côté des logements, les espaces publics, les équipements et la verdure ont aussi leur place. L’urbanisme des « Utopies réalisées » propose une séparation des fonctions (habitat, travail, loisirs, administration, services) et une hiérarchie des flux de circulation (voies piétonnières notamment). L’emploi de matériaux nouveaux, comme le béton armé ou le métal, a pour but d’assurer une rationalisation du processus de construction et un contrôle de qualité que ne permettent pas les matériaux traditionnels.

La visée politique et sociale de cette architecture révolutionnaire rencontre très vite la critique qu’alimentent rapidement les difficultés budgétaires : dès 1935, le site de Villeurbanne est controversé. À partir des années 70, le discrédit porté sur l’urbanisme des grands ensembles retombe sur les réalisations inspirées par le Mouvement moderne qui s’est inséré après-guerre dans la politique de construction massive de logements impulsée par le ministère de la Reconstruction, illustrée notamment par la volonté de réaliser en nombre des logements sociaux (8 millions entre 1953 et 1973). La remise en question de le Corbusier et de ses conceptions en matière d’architecture provoque des débats passionnés, notamment à propos de Firminy-vert et de son maire Eugène Claudius-Petit.

Un long processus de redécouverte s’amorce à partir des années 1980 auquel participent les habitants de ces cinq sites. Le regard des experts, comme celui du grand public, mesure désormais l’apport social et culturel d’une réflexion originale sur la ville telle que celle des “Utopies réalisées” de la région lyonnaise. Ces dernières, élaborées en réponse à la grave pénurie de logements, proposait des solutions de qualité qu’on ne retrouve pas à la même époque dans les “grands ensembles” de tours et barres construits en série et au moindre coût. Si on construisait en hauteur sur ces cinq sites c’était pour dégager au sol un espace au service de l’habitant qui y a trouvé effectivement de quoi satisfaire ses besoins individuels et collectifs. Notons qu’on retrouve en région parisienne un écho très intéresant de la recherche architecturale novatrice de cette époque dans la cité construite à Ivry par Jean Renaudie (1970-1975).

Voir le site :
Utopies réalisées, un autre regard sur l’architecture du XXe siècle.