Le quartier des États-Unis à Lyon (1917-1934) : le maire de Lyon, Edouard Herriot, confie le projet d’aménagement de la ville à Tony Garnier dont il apprécie le projet de cité industrielle, modèle inspiré des idées fouriéristes. Cet architecte, qui lie intimement urbanisme et habitat social, veut appliquer les principes des Utopies réalisées : libre disposition du sol, extension de la notion d’espace public, séparation des fonctions, hiérarchisation des voies de circulation. Pour des impératifs de densification, Garnier doit accepter de surélever les immeubles de deux étages, de réduire la surface des jardins et de réduire les équipements prévus. Malgré tout l’opération est innovante : en 1924 sont livrés 1400 logements dotés de wc et de douches, avec des commerces au rez-de chaussée. Ces logements, enserrés dans des murs en béton, sont rationnellement distribués. Les formes avant-gardistes du site font très vite débat. Le style Tony Garnier, homme de transition, se dégage, métissant composition classique, culture méditerranéenne et sensibilité à l’art déco.
Le quartier des Gratte-Ciel à Villeurbanne (1931-1934) : sensible à la construction d’immeubles de grande hauteur qui permettent de densifier, le maire Lazare Goujon confie l’aménagement de sa ville à l’ingénieur Jean Fleury et à l’architecte Morice Leroux. Comme celle de Lyon, cette expérience reste exceptionnelle pour l’époque avec 1400 à 1600 logements inaugurés en 1934. Pour la première fois en France, un centre-ville est dédié à des logements ouvriers et à d’importants équipements destinés à des populations ouvrières. Fleury et Leroux ne produisent pas une pensée théorique neuve mais s’intéressent à l’innovation et mettent en place une réglementation administrative articulée sur le projet architectural. Il n’existe pas alors de cadre juridique et financier ad hoc pour ce genre d’opération mais la municipalité se montre inventive en créant une société d’économie mixte associant fonds publics et fonds privés. Le retrait précoce des investisseurs privés et la crise économique entraînent la défaite de Goujon aux élections et des problèmes financiers qui dureront jusqu’aux années 1960. Ici l’audace est surtout technique avec la construction en hauteur, l’emploi de structures métalliques et de briques creuses masquées par un enduit. La composition est classique : alignement régulier des immeubles le long d’un axe majestueux aboutissant à un imposant bâtiment public, verticalité, aspect massif lookkçdes monuments, stricte symétrie des façades, maintien du décor. Cependant, les gradins, qui relèvent de l’héritage hygiéniste, et les deux gratte-ciel témoignent d’une modernité plus radicale avec une touche Arts déco.
Firminy-Vert (1953-1961) : le maire de cette ville minière, Eugène Claudius-Petit, ancien ministre de la Reconstruction a appliqué ici les principes du Mouvement moderne et de la Charte d’Athènes. Il fait appel à une équipe de jeunes architectes modernes. L’aménagement de cette ville « sinistrée » couvre 50 hectares. C’est un véritable plan de développement qui débute en 1957 et doit durer 15 ans : on prévoit 1000 logements HLM en hauteur, dégageant de vastes surfaces vertes où doivent être installés des équipements publics (centre commercial, écoles, caserne de pompiers, stade). Le Corbusier reçoit commande pour la Maison de la culture (1955-1969), le stade municipal (1955-1968), l’église Saint-Pierre (1961-2006) et l’unité d’habitation (1959-1967). On commence par créer ou améliorer les réseaux d’adduction et de traitement des eaux. Voirie et équipements sont achevés en même temps que les immeubles d’habitation, ce qui est exceptionnel à l’époque pour les grands ensembles. C’est un ensemble cohérent qui est réalisé, en réponse à l’ambition politique et architecturale d’améliorer les conditions de vie dans cette petite ville ouvrière. L’ensemble de cette cité, conçue par Le Corbusier, est harmonieux : le stade, niché dans le creux de la cuvette naturelle, est surplombé par la Maison de la culture inclinée en porte-à faux et par l’église Saint-Pierre dans l’esprit de renouveau de l’architecture religieuse. C’est surtout l’unité d’habitation qui pour Firminy est l’emblème du renouveau architectural, elle se rapproche de la cité radieuse de Marseille par ses importantes dimensions et sa capacité (1800 habitants pour 414 appartements répartis en six types différents) mais sa réalisation se heurte à la limite des crédits HLM. Le Corbusier doit renoncer à la rue commerçante, se battre pour imposer les loggias brise-soleil et accepteriez isolation phonique moins soignée. Comme à Marseille sont proposés trois modules complémentaires autorisant de multiples combinaisons. Le Corbusier y rajoute trois caractéristiques rares dans les logements HLM traditionnels : l’organisation en duplex, la double orientation et la double hauteur du séjour. Après la mort de l’architecte en 1965, son oeuvre est reprise par de jeunes architectes. A Wogensky achève notamment en 1969 l’unité d’habitation et l’école maternelle qui a été construite sur son toit-terrasse.
Le couvent de la Tourette à Eveux sur l’Arbresle (1953-1960) : Ce couvent illustre, comme celui de Ronchamp, le mouvement de renouveau de l’architecture religieuse dirigé par les commissions d’art sacré. Il y a désaccord sur l’introduction d’oeuvres d’art moderne dans les églises et la réflexion porte sur la dimension sacrée de l’architecture avec une réflexion sur l’espace, la lumière, la plasticité des matériaux et la couleur. Les Dominicains considèrent Le Corbusier comme un architecte qui a le sens du sacré et, en 1936, ils lui passent commande pour la construction du couvent de la Tourette. Les pilotis permettent de s’adapter à la forte déclivité du terrain. Le bâtiment comporte cinq étages mais le chemin de crête accède au troisième niveau (accueil, étude). Au dessus, sur deux étages, se trouvent les cellules des moines. Le quatrième niveau est consacré à la vie collective (réfectoire, chapitre, atrium). Il est desservi par deux larges couloirs. Au cinquième étage, en bas, on trouve la cuisine, une salle comune des caves. Dans les 104 cellules, de 1,83 sur 5,92 m, chacun dispose d’un lit, d’un bureau, d’un placard, d’un lavabo et d’une loggia brise-soleil. L’église en béton brut et couronnée d’une terrasse accessible. Le Corbusier, après Ronchamp, renoue ici avec les formes géométriques simples et reprend les thèmes du Mouvement moderne : toit-terrasse, promenade architecturale, pilotis, absence de décor. A la Tourette, est employé pour la première fois en architecture le béton précontraint. Ce chantier expérimental est une approche ouverte à l’innovation et à la transgression. Le matériau majeur du couvent est cependant la lumière avec des sources variées : brise-soleil et loggias pour les cellules, fentes lumineuses dans les couloirs, fin liseré de lumière sous le toit de l’église et “mitraillettes à lumière” au dessus de la sacristie. Avec l’aide de Iannis Xenakis est imaginé un jeu d’ombres portées au sol et sur les murs, changeant selon la course du soleil. La Tourette est avec Ronchamp le sommet et le symbole du renouveau de l’art sacré à cette époque. Le couvent est aussi un modèle organisationnel, archétype de l’harmonie entre l’individuel et le collectif, un aboutissement des modèles conceptuels des Utopies réalisées.
La cité des Étoiles (Givors 1974-1981) : dans un contexte où le logement social est absent et où prédominent les taudis, le maire, Camille Vallin, fonde une société d’économie mixte. L’architecte Jean Renaudie, sur le modèle de la cité qu’il a conçue pour Ivry, propose pour la vieille ville de Givors un programme de construction de 207 appartements (HLM, location, accession à la propriété). Tous les appartements sont différents et bénéficient de terrasses végétalisées. S’y ajoutent 1500 m² de commerces et 3000 m² d’équipements. Ce programme reste modeste car depuis 1973 il à été mis fin à la politique des grands ensembles. Cependant les principes fondateurs de la modernité restent en vigueur. L’utopie est triple : offrir à chaque habitant son logement propre dans un ensemble collectif ; construire des logements sociaux en centre ville ; s’adapter à la morphologie d’origine en restant fidèle aux principes de l’architecture moderne. Celle-ci perpétue un langage de formes primaires, les triangles. Renaudie refuse l’ornement et emploie des matériaux comme le béton brut. Sur la base d’un constat de la diversité humaine, l’architecte refuse tout a priori et ne veut pas d’un logement standard. Il n’y a donc pas de plan type. Il ne s’agit pas d’imiter les formes d’habitat ancien mais plutôt d’en retrouver l’esprit avec des formes variées, étagées sur la colline. L’organisation de la Cité des Étoiles est complexe, avec ses neuf blocs desservis par de multiples entrées et relié par trois couloirs habités. Les circulations ne sont pas lisibles d’emblée et à l’extérieur les ponts de vue sur la cité sont multiples. Renaudie combiné les triangles en jouant sur l’ouverture des trois angles ce qui génère de grandes diagonales ménageant dans les appartements des échappées visuelles illusionnistes qui amplifient les espaces. On note aussi l’étagement des toits-terrasses, privés ou publics et souvent végétalisés. L’intégration dans la nature éloigne encore de l’image de grand ensemble. Les nombreux espaces privés et publics (passages, placettes, places) sont entourés de commerces et d’équipements ce qui favorise les rencontres et la convivialité.
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Utopies réalisées, un autre regard sur l’architecture du XXe siècle.