A propos des tours, la passion domine-t-elle la raison, en utilisant parfois des arguments raisonnables ?

Comme pour d’autres bâtiments, il y a des tours vilaines. Mais il y a aussi des tours belles, certaines très belles. Il y a aussi des beaux ensembles de tours, où le piéton se sent bien à sa place. New York reste certainement le meilleur exemple d’une telle réussite, mais d’autres villes américaines, comme Chicago, ont su aussi réussir. Et ailleurs dans le monde, comme en France à La Défense, on trouve d’autres beaux exemples.

Un point important est soulevé sur la validité des tours : leur in habitabilité. Seul un emploi pour des bureaux serait concevable. Mais des habitants de tours disent que ce n’est pas pour eux le cas et qu’ils s’y trouvent bien. Au-delà de cette constatation, il semble qu’un parti est pris lorsqu’on construit une tour : habitation ou bureaux, mais jamais les deux ensemble. Il serait intéressant d’expérimenter plus complètement la mixité d’emploi de la tour : comment y mettre à la fois de l’espace travail, de l’espace rencontre commerciale ou sociale et de l’espace habitat ? Dans une tour pourquoi pas, ainsi, un hôtel et des logements, ou un centre social, des bureaux et des logements ? Ou toute autre mixité intelligente selon le territoire concerné. Il y a là une réflexion sur cette mixité qu’il serait utile à faire, ce qui évidemment conduirait à modifier les règles actuelles à respecter.

Certes il faut tenir compte de l’environnement immédiat pour introduire un nouveau type de bâti. Mêler bâti historique et bâti moderne doit être regardé de près pour éviter des erreurs. Comme celle de la tour Montparnasse dans la perspective des Invalides. Sur ce cas d’ailleurs on peut se demander si cela avait été imaginé au moment de la construction. Si non c’est évidemment une erreur d’avoir oublié cet aspect. Si oui, c’est sans doute aussi une erreur de l’avoir maintenue ainsi. Mais on peut aussi imaginer qu’un vrai travail de création eût été alors fait sur cette tour pour que sa qualité tienne compte de son positionnement, alors connu et accepté, derrière les Invalides. Plus généralement on constate, certes plus souvent en Europe et même en Asie qu’en France, une recherche architecturale de qualité pour faire cohabiter tissu ancien et tissu moderne. En France on a un blocage sur cette question qui finalement encourage la paresse (naturelle, comme pour chacun d’entre nous…) des architectes !

On connaît tous les arguments raisonnables techniques sur le coût de fonctionnement et de construction, la sécurité, les handicaps, écologiques et autres, des tours. La question alors n’est pas de les accepter comme définitifs et donc comme rédhibitoires à la construction de tours. Elle est de les confronter avec tout nouveau projet et de construire celui-ci de telle sorte que ces constats liés à l’expérience actuelle soient corrigés. Le constat d’un jour doit pousser toute personne à progresser, et non à s’arrêter !

A Paris donc enfin, puisqu’il s’agit bien aujourd’hui de cela, renoncer aux tours pour des raisons techniques, ou à cause de mauvais exemples paraît sommaire. Il y a sans doute des lieux où cela est possible et apporterait un enrichissement à l’espace considéré et à la ville. Mais ce doit être fait à la fois dans le cadre d’une structure de débat préalable public organisé, et de l’organisation d’un suivi public de la réalisation retenue, avec la possibilité de bloquer le processus de réalisation s’il dérive par rapport au projet décidé. C’est ce qui avait été refusé lorsque l’opération Italie fut lancée il y a maintenant 40 ans. En effet sous le couvert de la liberté donnée aux propriétaires de construire grâce à l’utilisation du processus d’association foncière datant de Napoléon III, c’était la complète liberté des promoteurs qui prenaient leur place en rachetant leurs droits et qui pouvaient faire quasiment ce qu’ils voulaient que l’ADA 13 avait alors combattu, comme celle de l’absence quasi complète des équipements indispensables à une telle transformation urbaine.

Paris le 8 mars 2009.
Jacques Remond, ancien président de l’ADA 13.

La tour, prends garde…

Après avoir lu l’article de Jacques Goulet, publié dans la Revue des Deux Mondes de février 2009, qui parle de sa vie dans une tour du treizième :

Avez-vous remarqué combien le langage, dès qu’on parle de tours, emprunte au discours du rapport de forces et renvoie à ce qu’étaient les tours avant de devenir « d’habitation » : fortification ronde offrant une aire très dégagée d’observation à chaque angle du château-fort, elle se dote de meurtrières d’où d’habiles (et féroces !) archers vont surveiller les mouvements, amis comme ennemis, aux abords de la seigneuriale demeure ; et mettre bon ordre à toute présence indésirée.

Ainsi va-t-on rechercher une « situation élevée », comme disent les militaires et les énarques, pour …la défendre, bien entendu ! Ainsi, aux avant-postes de la Ville, la tour veille, et ne se rend pas. A la périphérie, les guetteurs du futur ont le regard fixé sur la ligne bleu horizon (ou bleue des Vosges, c’est selon), à travers les créneaux modernes de leurs doubles vitrages.

Imaginez la scène : si les projets délirants des dernières années du dernier siècle (cf. ce qu’en raconte J. Goulet) avaient vu le jour, nos guetteurs aux aguets auraient pu, chaque matin, observer les flots de voitures dont on rêvait à l’époque, alignés par quatre dans chaque sens, entrant dans et sortant de la cité encoquillée dans son périphérique ; aux avant-postes de la pollution et des migrations alternantes ; et heureusement sans arcs ni flèches…

Et dans une hypothèse au moins, si j’ai bien compris, nous aurions eu droit à un échangeur en plein milieu de l’avenue d’Italie ; ironie des mots : chacun sait bien qu’un échangeur n’est qu’un empêcheur d’échanger, non pas en rond, mais en ligne droite qui reste le plus court chemin d’un être humain à un autre. Nous l’avons donc échappé belle !

La tour nous permet de voir les choses et les êtres de plus loin et de plus haut, comme les avions, un enjeu décisif quand ils ont fait leur apparition pendant la première guerre mondiale : repérer les mouvements des fantassins alliés ou hostiles, prendre un recul (de la hauteur) précieux pour les occupants des tranchées. La tour est elle aussi munie de moteurs et mécaniques utiles ou indispensables à son fonctionnement.

Dès l’accès, depuis la dalle ou la rue, des télé-instruments (prendre du recul a des exigences techniques) jaugent le visiteur, le photographient parfois, lui accordent ou non l’accès, l’interrogent d’une voix nasillarde rarement reconnaissable, et l’orientent vers une autre machine qui va, à une vitesse qui peut provoquer (n’est-ce pas, Jacques ?) des malaises chez les personnes sensibles, l’enlever dans les airs jusqu’à la hauteur requise.

C’est notre monde, celui que nous avons créé, plein de bruit et de fureur, et aussi de machines : machine à habiter, machines à circuler, machines à écrire et à parler, machines à échanger qui recherchent pour moi le « profil » le mieux adapté à ce que je cherche ; au point que les machines en viennent maintenant à parler entre elles, « sans intervention humaine » : un grand progrès !

C’est normal, nous grandissons « hors sol », comme les tomates, sans racines. L’accès à la terre est défendu : nous blindons nos caves, nous entourons nos « espaces verts » de grilles (pas assez : certains les franchissent et se font écraser, hélas). Notre unité de vie de base, pour les urbanistes, s’appelle un îlot, la racine du mot « isolé ». Qu’il s’agisse de tours ou de barres (comme barrage, mais contre quoi, contre qui ?), notre désir de voir loin pourrait finir par nous rendre myopes à nos voisins. Alors, les tours : pour les presbytes ?

Et s’agit-il de voir, ou d’être vu ? Où est l’enjeu ?

Edgar Boutilié 09.03.09

Tours et objectivité

Certains combattent les tours comme Don Quichotte combattait les moulins avec plus de fougue que de discernement.

Considérer les tours « en bloc », toutes configurations et tous usages confondus, conduit à des amalgames incompatibles avec une démarche rationnelle et objective. C’est la voie ouverte aux pseudo-démonstrations partisanes.
Ainsi un énergéticien de Félines-sur-Rimandoule, a produit une « Analyse de la consommation énergétique des tours » qui, dès la première page, fait état de chiffres de consommation moyenne, sans distinction entre tours de logements et tours de bureaux. L’auteur affirme « les tours sont en général entièrement vitrées » et aussi « les tours sont généralement de gros consommateurs de climatisation ». Si c’est vrai, en général, pour les tours de bureaux, c’est faux pour les tours de logements, qui ne sont pas climatisées. L’habitat serait-il négligeable?
D‘autre part, calculer une moyenne entre des consommations de tours construites avant 1975, en absence de toute réglementation thermique, et de tours récentes plus performantes ne peut que favoriser la confusion.
A tout mélanger, les conclusions sont sans véritable signification.

Aux amalgames s’ajoutent les affirmations non fondées.
Dans une présentation d’un livre récent « La folie des hauteurs. Pourquoi s’obstiner à construire des tours? » sont rapportés les propos suivants :
« Les tours sont traumatisantes pour leurs occupants (« Les stars de l’architecture ne se préoccupent jamais vraiment de la vie ordinaire des gens qui habitent les tours ou qui y travaillent »). Les tours constituent l’antithèse de la ville, elles « se refusent à la ville » et à la rue, « elles se ferment comme une huître »; elles constituent « des lieux d’enfermement, de repli de soi, de contrôle excessif »; « les vigiles y sont maîtres ». Par conséquent, « elles ne créent pas les conditions d’une véritable urbanité ».
Qu’est ce qui permet de dire cela? Les habitants de tours peuvent témoigner que ces assertions sont, heureusement pour eux, sans fondement.

Ce ne sont que deux exemples parmi bien d’autres.

Alain JOUBAIRE