Il y a 50 ans la « bande à Delouvrier », haut fonctionnaire chargé par le Général de Gaulle de planifier le développement urbain de la Région Parisienne inventait les villes nouvelles, le RER et le périphérique. Suivrait la Défense, puis l’A86. L’agglomération allait se structurer durablement sur ce schéma théoriquement polycentrique, mais en réalité fortement convergent sur la capitale, qui assura son hégémonie sur la banlieue. Vingt ans plus tard le SDAURIF de 1995 , sous l’autorité de l’Etat, s’efforça de contenir l’étalement péri-urbain résultant de ce schéma radial en rétablissant un semblant de multipolarité, mais il se révéla incapable, faute de volonté et de moyens, de réorganiser le réseau de transports pour résoudre la crise aigüe des déplacements.
Or, il fallut attendre encore une quinzaine d’années pour voir émerger un nouveau concept d’agglomération porté par l’Etat et la Région : la Métropole du Grand Paris. Le concept de métropole n’est en soi pas nouveau, il recouvre à travers la planète des réalités différentes, mais dans le contexte français il marque une étape décisive dans l’aménagement du territoire.
Une seconde révolution copernicienne
La création de la métropole du Grand Paris date déjà de dix ans. Elle regroupe autour de Paris 11 territoires de la petite couronne qui sont des EPCI à fiscalité propre. Ce qui est important c’est que, d’une part, ces 12 territoires doivent planifier solidairement leur territoire à travers un SCOT unique adossé à un Programme de l’Habitat (PLHH) et que, d’autre part, ils doivent à terme adopter une fiscalité unique. Le projet métropolitain s’annonce ainsi comme une volonté fondatrice de « lutter contre les inégalités territoriales en rééquilibrant le développement au sein de la Métropole ». La réalisation de cet objectif sera difficile pour deux raisons : d’abord parce que les mobilités résidentielles dépendent du marché du logement, ensuite parce que, sur un bassin d’emploi aussi homogène une fiscalité des entreprises harmonisée ne jouera qu’à la marge sur les implantations.
Le Grand Paris Express, un fil historique enfin retrouvé :
La structuration de cette nouvelle entité politique et administrative se fera en renouant le fil historique de la politique des grandes infrastructures initié par Paul Delouvrier. Cette fois, il s’agit d’un nouveau réseau de transports public : le Grand Paris Express., 200 km de métro souterrain autour de la capitale, desservant 68 stations. Tout ce réseau fonctionnant en automatique. Toute comparaison chiffrée est inutile d’autant qu’on ne pourra la faire qu’à la fin.
Il s’agit de deux projets comparables mais avec des finalités opposées : le projet Delouvrier, faiblement polycentrique centrait toute l’agglomération sur Paris, le GPE fait l’inverse.
La face cachée du Grand Paris Express
La carte ci-dessus fait figurer les 68 gares qui jalonneront le tracé des deux boucles du réseau du Grand Paris. Chaque pastille rouge figure l’emplacement de la gare et délimite un espace de 800 mètres de rayon autour de celle-ci. Cet emplacement, qui fait donc environ 200 hectares en milieu urbain, est baptisé « périmètre de projet » autour des quartiers de gare. Traduit en langage technique il s’agit de périmètres de mutation urbaine et de transformation du bâti, donc de projets de construction synonymes de densification du tissu urbain. Là un peu de calcul s’impose : 200 hectares multipliés sur 68 gares produisent une surface gigantesque de plus de 13 000 hectares soit plus que la surface de Paris (10 000 hectares).
Se révèle donc la face cachée du projet de grand métro qui, au-delà de son impact direct sur les mobilités, génèrera sur son parcours un colossal anneau de transformation et de croissance urbaine, susceptible de bouleverser les équilibres fonctionnels de l’agglomération. De ce point de vue, le projet métropolitain semble tenir sa promesse de rééquilibrage, mais il faut aller plus loin pour en comprendre les enjeux.
L’enjeu initial de mobilité mérite tout de même qu’on s’y attarde un peu. Le double anneau ferré de 200 km, à 95% en souterrain, annonce des performances de desserte phénoménales avec des cadencement de 2 à 4 minutes, dignes du métro. Une performance inatteignable sans une gestion automatique, mais sur quels flux de voyageurs et au total quelles recettes ? Ces prévisions restent dans les cartons…
Au demeurant, c’est la grande inconnue de ce projet et cela pourrait sembler paradoxal à un moment-clef où on assiste à de grandes mutations dans le domaine des mobilités. Le pari le plus risqué est là, mais son impact urbain structurant méritait d’être réévalué. En particulier pour Paris. C’est ce que nous proposons d’esquisser .
Les quartiers gares et les pôles de croissance urbaine de la Métropole
Villejuif gare (Apur) Noisy Champs gare (Apur)
Issy Vanves Clamart (Apur)
Une étude de l’Apur recense avec beaucoup de précision l’état des projets en cours, généralement des ZAC, dans les périmètres de gares de 800 mètre de rayon. Cette étude porte sur les 16 gares de la ligne 15, plus ou moins proche du périphérique sud.
Les trois vignettes ci-dessus montrent, d’une part, que les secteurs en projet ou en cours de réaménagement varient beaucoup en surface (de 5 ha à 270 ha) en fonction de la proximité de Paris et de leurs interconnexions, d’autre part que lesdits projets débordent déjà largement du périmètre de mutation (cercle vert). L’étude évalue à 20% de ce périmètre foncier la surface déjà mise en projet sur la totalité des gares et en conclut sobrement que le rééquilibrage Paris/1e couronne, inscrit dans les « gènes » de la Métropole, reste encore timide. Cette prudence s’explique à ce stade, mais la mise en perspective de ce grand projet en plein démarrage laisse penser le contraire. En effet, pour plusieurs raisons, on peut penser que la couronne urbaine jalonnée par ces gares va se densifier progressivement mais inéluctablement en bousculant les équilibres actuels.
Ces projets sont déjà plus denses que leur environnement, ils sortent souvent du cercle induit, ils génèreront d’autres projets (plus proches du périphérique). En plus la densification se fera dans le tissu existant (phénomène « Built in my Backyard »), en même temps que la très attendue rénovation thermique du bâti pavillonnaire.
Vers un rééquilibrage des densités urbaines ?
Il faut d’abord souligner une tendance de fond qui semble aller dans ce sens, puisque Paris depuis 8 ans perd des habitants tout en continuant à attirer les emplois, tandis que la petite couronne gagne sur les deux tableaux. Les deux phénomènes ne sont pas forcément liés, le principal facteur de la désaffection relative de la capitale est certainement lié à l’immobilier spéculatif qui y sévit.
Mais il est raisonnable de penser que sur un même bassin d’emploi et d’habitat puisse s’installer durablement une forte interaction entre une banlieue rénovée et suréquipée et la ville centre. C’est d’ailleurs, faut-il le rappeler, le but du jeu !
La carte ci-dessus montre les écarts de densités entre les quatre entités géographiques de l’Ile de France. Les chiffres sont parlants : la densité de population entre Paris et la petite couronne varie d’un facteur 3 ; cet écart est encore aggravé pour la densité mixte (habitants et emplois) puisque le taux d’emploi sur Paris est au sommet ; reste la densité brute qui mesure le taux d’artificialisation des sols: il varie en gros dans un rapport de 1 à 4. Cette dernière estimation n’est qu’une moyenne…
Il est temps une fois encore de sortir la calculette, juste pour voir. Le total des surfaces mutables entourant les quartiers-gares représente, rappelons-le, plus que la surface de Paris soit 13 000 ha (130 km2). En admettant que ces surfaces soient entièrement construites en respectant la densité moyenne de la Métropole soit 6700 hab/km2, on obtient une croissance de population de l’ordre de 700 000 habitants. Le compte est bon, la croissance annoncée dans les statistiques de la Métropole est de l’ordre de 800 000 habitants pour au moins autant d’emplois, puisqu’on raisonne à juste titre en mixité.
Ndlr1 : les chiffres de mise en chantier sur le GPE démontrent que la proportion habitat/emplois est plus proche de 50/50, alors que dans le scénario de programmation de la MGP le rééquilibrage des emplois prévoit une proportion de 60/40 en faveur de ceux-ci. Rien de bien nouveau, il est plus facile de programmer des logements que des emplois.
Sauf qu’on construit déjà plus dense et on omet d’y ajouter l’imprévisible densification du tissu pavillonnaire, qu’il serait déraisonnable de ne pas prendre en compte.
Ndlr 2 : les statisticiens utilisent plus volontiers comme indicateur démographique le cumul habitants + emplois qui s’établit en moyenne à 140 hab/emplois à l’hectare (14 000 au km2) sur la Métropole. Mais cet indicateur est trop influencé statistiquement par l’exceptionnelle concentration des emplois sur Paris et la Défense. Les chiffres bruts nous semblent mieux refléter la réalité démographique de l’agglomération. Au demeurant, les calculs sont cohérents.
Vers un scénario de rupture : pour un urbanisme bioclimatique sur Paris.
D’un côté, une capitale hyper-dense et enchaînée à la spéculation immobilière et de l’autre un vaste ensemble de quartiers rénovés, bien équipés en emplois et en transports publics qui peuvent offrir un cadre de vie plus aéré, aux choix multiples: comment ne pas y voir l’alternative du futur ? On n’échappera pas à ce dilemme sur le long terme si la capitale ne se décide pas à donner plus d’air et plus d’espace aux parisiens, en adaptant son territoire aux défis bioclimatiques. La construction de la métropole peut servir ce dessein. Paris peut s’y préparer, en prenant le temps de replanifier sa politique urbaine, mais en s’y mettant sans tarder.
Il est temps, en effet, de promouvoir une politique d’amélioration du cadre de vie des parisiens car les vraies échéances, hors la lutte contre les pollutions urbaines, ne sont pas prises en compte dans l’aménagement du territoire. Les grands défis figurent pourtant dans le Plan Climat qui promet d’agir sur les effets du changement climatique et en faveur de la biodiversité.
Or, il est impossible d’atteindre la neutralité carbone en 2050 et de conserver une ville vivable sur le plan climatique en continuant à densifier, à bétonner les espaces libres et à faire croire que la végétalisation du bâti pèsera dans la compensation carbone. Celle-ci ne pourra être atteinte qu’en externalisant massivement la production d’énergie et la reforestation extra-muros, ce qui ne procurera aucun bénéfice direct aux Parisiens.
Le nouvelle donne s’inscrit dans le cadre d’une petite révolution copernicienne qui consiste à remettre la qualité de vie des Parisiens au centre de la politique d’urbanisme, en mettant à profit la fenêtre de décompression qu’offre l’aménagement de l’espace métropolitain. Il faut y réfléchir, la concurrence n’étant pas de mise avec la Métropole, ce sera du « gagnant-gagnant ».
On peut esquisser quelques axes de réflexion pour un Paris bioclimatique et « renaturé » qui pourraient nourrir le futur PLUi, inscrit dans le nouveau cadre réglementaire de la métropole.
Le Plan Climat de Paris peut inspirer cet exercice puisqu’il coche toutes les cases de la transition écologique, permettant ainsi d’orienter la réflexion collective sur :
- un corpus de règles de densités et de hauteurs de construction adaptées au paysage urbain et suffisamment stables pour contrarier les projets dérogatoires, en particulier les surélévations des bâtiments existants et les tours,
- des mesures renforcées pour stabiliser la densité et pour protéger les espaces libres, les infrastructures ferrées et les friches industrielles non bâties de l’urbanisation,
- des mesures pour installer durablement des techniques permettant de lutter contre l’imperméabilisation des sols naturels ou artificiels, voire de restaurer leur perméabilité,
- des actions d’accompagnement pour la résilience bioclimatique du tissu urbain, le renforcement végétal des espaces naturels publics et privés (cœurs d’îlots), la plantation des îlots de chaleur urbain (ICU).
- l’accélération de la campagne de rénovation thermique du bâti avec de nouveaux outils, en particulier pour les copropriétés, excluant les projets spéculatifs,
- des mesures spécifiques pour replanter les quartiers d’habitat social hyper-denses,
- la relance de projets d’écoquartiers en lieu et place des grandes opérations sur dalles.
Il faut accélérer, les rapports des instances du climat (GIEC, ONU) se succèdent, les métropoles sont en première ligne. C’est déjà leur premier défi de gouvernance.
Emmanuel Leguy – Ada13