Ils disparaissent progressivement, subrepticement, ces bancs qui nous accueillent au coin de chez nous ou nous permettent de nous arrêter un moment pour prendre le soleil, bavarder, lire ou simplement vivre la ville. On s’y repose, on s’y isole ou, au contraire, on y échange sous le regard de tous, mais finalement dans une certaine intimité.
Renseignement pris, il ne s’agit pas d’un vol opéré par quelque collectionneur de bancs mais d’une volonté délibérée d’enlever toute occasion de désordre perturbant les riverains qui se plaignent de nuisances. Cela veut-il dire que l’on ne sait plus cohabiter ? A la campagne, on assourdit les cloches, on fait disparaître les coqs, on met les chiens à l’index. Seuls restent les bruits de la vie courante et les voix, souvent perçantes, qui parfois vous réveillent intempestivement dès potron minet. A Paris, ce sont plutôt les SDF qui dérangent ceux qui ont la chance d’avoir un toit. On veut une ville lisse, aseptisée, bien pensante. Ce débat rappelle celui sur les terrasses de café. On en veut bien mais surtout pas près de chez soi.
Or les bancs jouent un rôle de service public en favorisant la convivialité, en permettant de faire une pause pour se reposer, se distraire, se recentrer, communiquer. Il est la Providence pour ceux qui ont du mal à se déplacer, pour les ados, pour les mères de famille, pour les amis et les amoureux, pour les contemplatifs. Sans oublier les SDF, qui pour ne pas être forcément des contribuables et des électeurs, n’en sont pas moins des usagers de la ville.
Cette disparition programmée qui fait bien des mécontents est-elle inéluctable ? N’est-elle pas contradictoire avec la politique d’encouragement aux circulations douces qui préconise d’aménager des lieux de pause, et entre autres des bancs, pour accueillir les marcheurs ?
Il est à craindre que les bancs publics fassent partie des vestiges d’une époque révolue et que nos enfants en ignorent tout. Pour eux, un banc, ce sera uniquement ce « machin » qu’on trouve dans les parcs et jardins protégés par des grilles.
Brigitte Einhorn