Le 24 juin, Pierre Deblock et Daniel Friedmann nous ont fait découvrir le quartier Croulebarbe, leur quartier. Promenade dans l’espace mais aussi dans le temps, car on y a trouvé un condensé d’histoire locale nous menant de Lutèce au Paris d’aujourd’hui. La visite nous a permis de retrouver les vestiges actuels de cette Histoire.
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◙ Le quartier Croulebarbe était à l’origine rattaché à l’ancien bourg Saint-Marcel, nommé ainsi en l’honneur de l’évêque Saint-Marcel qui y a été enterré au Ve siècle. Les pèlerinages qui s’y sont développé aux siècles suivants ont été l’amorce de l’urbanisation dans le 5e arrondissement et au nord du 13e. La vie s’y est organisée autour des paroisses. Les noms de rue rappellent ce passé lointain : sise au 3-7 de l‘actuel boulevard Arago, l’église Saint Hippolyte, datant du XIe siècle et démolie au XIXe siècle, a donné son nom à une rue dont il subsiste une partie aujourd’hui. Le chemin de l’Oursine, devenu la rue de Lourcine (référence aux cendres ?) évoquerait les nécropoles voisines. C’est maintenant la rue Broca. La rue des Cordelières rappelle le couvent construit au XIIIe siècle dont il ne reste que quelques vestiges (baies en arc cintré, troncs de colonne et chapiteaux) intégrés dans l’hôpital Broca (anciennement de Lourcine). On a gardé aussi le souvenir du couvent des Dames anglaises de la rue des Tanneries.
◙ C’est la Bièvre qui a joué un rôle essentiel dans le développement de l’ouest du 13e. La Bièvre était alors en dehors de Paris et attirait ceux qui recherchaient le calme et la verdure : les riches Parisiens, mais aussi les congrégations religieuses (Cordelières, Dames anglaises, Dominicains). Sont venues également s’implanter dans son voisinage les activités, chassées du centre de la capitale parce qu’elles étaient sources de nuisance. On appréciait aussi la qualité de ses eaux qui était particulièrement réputée. Parmi les métiers qui s’y sont développés, il y avait les teinturiers dont un sieur Gobelin, installé en 1443, qui a fait souche. Les membres de sa nombreuse famille ont été relayés par bien d’autres, mais c’est leur nom qui a subsisté. C’est ce nom qui a été donné à la Manufacture, fondée par Colbert en 1662, d’abord royale puis nationale, qui a impulsé le rayonnement national et international des métiers d’art (tapissiers, peintres, orfèvres, fondeurs, graveurs, ébénistes). Un secteur de la très ancienne rue Mouffetard est devenu en 1869 l’avenue des Gobelins. Outre la station de métro qui porte ce nom, on parle volontiers du « quartier des Gobelins » même si ce n’est pas son nom officiel. Par contre, d’autres voies ont été rebaptisées, comme la ruelle des Gobelins appelée aujourd’hui rue Berbier-du-Metz. Malheureusement, la contrepartie de cet essor a été pour beaucoup les difficiles conditions de vie et de travail, la misère avec comme lieu emblématique le passage Moret ; et aussi, la pollution irrémédiable de la Bièvre qui entraîné son recouvrement, puis sa disparition totale en 1912.
Sur place, le souvenir de la rivière est partout :
– Le moulin Croulebarbe, cité dès 1214, a été démoli en 1840 mais il a laissé son nom à une rue, à une station de métro et au quartier administratif créé en 1860 (au moment de la constitution du 13e arrondissement).
– Les rues Paul-Gervais et Edmond-Gondinet sont alignées sur les deux bras de la Bièvre sur lesquels elles ont été édifiées à la fin du XIXe siècle
– Les galeries souterraines qui subsistent après recouvrement ne sont pas visibles mais le tracé des rues évoque le parcours sinueux de la rivière
– Le square Le Gall a remplacé l’île aux singes où, enserrés entre des deux bras de la Bièvre, se trouvaient les anciens jardins ouvriers des Gobelins. Aujourd’hui, ce sont les habitants qui peuvent y cultiver les parcelles d’un jardin partagé. Le square a conservé quelques pans des anciens murets bordant la rivière.
– Au XXIe siècle, les anciens métiers liés à la rivière ont disparu, mais la mémoire des lieux subsiste : la grande mégisserie de la rue Corvisart est devenue le lycée professionnel Corvisart des arts graphiques. Le Palais du peuple de l’Armée du salut, rue Corvisart, et le lycée Rodin, rue des Tanneries, se sont installés à l’emplacement d’anciennes mégisseries .
– Le château de la reine Blanche, rénové en 2000-2002, nous rappelle les nombreux artisans des bords de Bièvre qui s’y étaient installés.
– La manufacture des Gobelins est toujours là. On peut voir ses bâtiments, sa chapelle, la plaque qui rappelle qu’elle a obligation d’entretenir la rivière devant ses bâtiments sur 137 m.
– Un parcours symbolique de la Bièvre a été établi : il donne des repères (regards d’égout, plaques) et des illustrations (sculpture de salamandre de Véronique Vaster au square Le Gall).
– De nombreux documents et des photos entretiennent le souvenir d’une rivière qui a façonné le quartier
◙ Au XXe siècle, après la disparition de la Bièvre, le quartier Croulebarbe a été remodelé : aménagement du square Le Gall, construction du Mobilier National et d’une extension des Gobelins ; puis rénovation urbaine et modernisation des années 1950-1960. On envisage alors de prolonger l’avenue de la sœur-Rosalie par une véritable autoroute urbaine (les Champs-Élysées de la rive gauche) reliant la porte Dauphine à la place d’Italie qui aurait fait disparaître l’hôpital Broca et une partie du square Le Gall. L’objectif est de moderniser, d’assainir et de remédier à la crise du logement d’après-guerre. Ce plan d’ensemble n’a pas été réalisé mais des constructions et des aménagements sont intervenus.
On peut voir dans le quartier quelques réalisations d’architectes éminents :
– Le Corbusier a construit en 1926 une annexe de l’Armée du salut rue des Cordelières, 29 rue des Cordelières.
– Les frères Perret ont édifié le Mobilier National en 1934-1936 au 1, rue Berbier-du-Metz.
– Jean-Charles Moreux a aménagé le square Le Gall en 1938 sur l‘ancien jardin des Gobelins et a confié à Maurice Garnier des sculptures en rocaille.
– Adrien Brelet a été chargé en 1955du plan d’aménagement du quartier Croulebarbe. Son 2e projet prévoit une importante innovation : la construction de trois tours.
– Adien Brelet et André Le Donné ont construit de 1954 à 1957 un groupe d’immeubles HLM entre la rue Croulebarbe et le boulevard Blanqui
– Édouard Albert a édifié en 1960, au 31 de la rue Croulebarbe, la première tour de Paris, « la Tour n°1 ». La tour Albert est la première de l’ensemble de trois prévu par le plan Brelet. Les deux autres tours sont situées au 42-52 rue Corvisart(1961) et entre la rue Émile-Deslandres et le boulevard Arago (1969).
À lire :
– Gaston Digard, Le quartier Croulebarbe, éd. Municipales, 1995, 71 p.
– , Simon Texier Le 13ème arrondissement : Itinéraires d’histoire et d’architecture, Paris, Action artistique de la ville de Paris, 2000, 143 p.
– Renaud Gagneux, Jean Anckaert, Gérard Conte, Sur les traces de la Bièvre parisienne : promenades au fil d’une rivière disparue, Paris, Parigramme, 2004, 156 p.