Des tours jumelles déhanchées, juchées sur un énorme socle de béton enterré sur neuf étages. Le tout fiché dans un invraisemblable nœud d’infrastructures aux portes de Paris, ça ressemble fort… à un non évènement urbanistique. Il fallait trouver preneur de ce site ingrat, en cherchant du côté de la logistique plutôt que du côté du tertiaire de prestige. Pourtant la Semapa a réussi son coup en vendant ce terrain enclavé à des promoteurs, y compris la Caisse des Dépôts du Québec, dont on se demande ce qu’elle vient faire là. Peu importe.
On comprend vite que l’utilité publique doit être recherchée dans la localisation de 6 000 emplois, qui partiront peut-être demain vers d’autres tours, ou dans la « nature » au gré des courants de nomadisme du tertiaire. L’hôtel ne désemplira pas et, pour le reste, la prise de risque financier est privée, ou considérée comme telle, donc il n’y a pas de quoi s’émouvoir.
Pour peu qu’on puisse en juger correctement sur maquette numérique, le niveau zéro du socle des tours ne produit aucun service public et une urbanité limitée à ces fameux espaces privés ouverts au public, pas toujours ouverts. Ce seront de toute façon des zones d’inconfort climatique comme il en existe toujours en pied de tour. À juste titre, les services de l’État déplorent l’absence d’étude aéraulique, mais à quoi bon étudier ce qu’on ne souhaite pas traiter ?
Un nœud d’interconnexion des transports publics justifie selon les promoteurs la concentration d’emplois sur ce site, déconnecté du tissu urbain environnant. On peut y croire mais il vaut mieux voir ça de près. Résumons : aux heures de pointe un tramway presque saturé, des lignes de métro éloignées, une ligne 10 prolongée peut-être en 2030, une ligne de bus T-zen aux capacités limitées. On sait aussi que les transports collectifs parisiens, ne peuvent déjà plus, malgré de constantes modernisations, absorber le trafic des heures de pointe. Et les tours Duo ne sont qu’un début.
L’étude d’impact est un modèle du genre, à la fois parce qu’elle est plutôt bien faite et parce qu’elle obéit à la loi du genre « pavé ». Même si le résumé, très dense, tente de synthétiser les informations pour le grand public, il faudra bien se décider un jour à formuler plus simplement les diagnostics écologiques. Et revenir aux maquettes physiques…
De très gros efforts sont faits pour construire plus écologique : labellisation HQE, recyclage partiel des eaux pluviales, énergies renouvelables, réglementation thermique 2012 (RT2012), verdissement de terrasses, il faut reconnaitre un effort qui va au-delà du green-washing habituel. Même si pour être juste, il faudrait intégrer l’énergie grise nécessaire à la construction de ces mégastructures acier/béton/verre et mettre au bilan global leur improbable durabilité¹.
Le volet paysage de cette étude n’est pas un cadeau… Le paysagiste s’en tire plutôt bien en proposant de multiples points de vue permettant de se faire une idée de l’impact des nouvelles venues sur le paysage urbain. Ce qui fonctionne plutôt bien à grande échelle, du point de vue de l’architecte et du promoteur qui recherchent une visibilité maximale.
Mais dans le contexte de la Zac et plus largement celui du 13e, cette brutale rupture d’échelle ne fait pas sens. Ces tours apporteront leur modernité dans un contexte urbain déjà très marqué par les constructions hautes, mais qu’apportera leur démesure ? La skyline du 13e, incluant la BnF, existe déjà. Elle marque le paysage parisien et les habitants se l’approprient comme patrimoine lié à l’histoire locale. À une échelle plus humaine ?
Ce projet se veut singulier, il est dans toutes ses composantes surdimensionné : un coup de gomme dans le programme et un trait de crayon plus ajusté feraient du bien à tout le monde. Y compris peut-être au promoteur.
Enfin, pour penser plus large, revenons à la fonction de signal que jouent les tours — on dit en langage savant les émergences — dans le paysage parisien et même francilien. Mais là le problème est : quel signal ?
Car si Paris s’entoure de tours, tantôt raides, tantôt déhanchées, tantôt triangulaires, quel message la capitale va-t-elle délivrer à la banlieue ? Cette banlieue qui sera demain l’extension naturelle du Grand Paris.
Au fait, qu’en pensent les Ivryens ?
Emmanuel Leguy
- 2014 a été l’année d’un évènement : la destruction à grands frais d’un IGH dans le secteur du Front de Seine.