Street art ou peinture murale ?

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Conor Harrington, Étreinte et lutte, 85 bd Vincent-Auriol

Pourquoi peindre sur des murs « aveugles » ? Ou sur des surfaces extérieures aux habitations ? Que peindre, que représenter ? Il y eut des scènes religieuses en Italie, représentant par exemple une annonciation ou des personnages voulant apparaître comme des passants de la rue, des anonymes qui demandent à être reconnus comme des humains aux États-Unis, ou des manifestants qui annoncent une lutte au Mexique. Dans ces trois pays on a vu des mises en scène d’un groupe plus ou moins rassemblé autour d’un chef : ce fut le cas dans  des régions dites de l’Est pendant la guerre froide. Ou c’est la célébration du chef de l’État : je pense à la Chine, à la Corée du Nord…

À Paris, rien de cela. Quelques scènes plus ou moins légères, qui venaient recouvrir un mur « libéré » par la destruction d’habitations adjacentes, il y a trente ou quarante ans … (rue Clisson) ou quelques peintures « sauvages » éphémères dans des quartiers appelés à être réaménagés… Et, depuis quelques temps, une prolifération d’images surfaces apparaissent sur des murs d’immeubles publics,  souvent non prévus à cet effet par les architectes. Voire même une densification tendant à saturation dans le quartier du boulevard Vincent-Auriol.

Ces productions interrogent sur la « qualité artistique » d’elles-mêmes, c’est-à-dire sur leur place dans la ville et sur leur iconicité. Si l’on considère qu’une ville doit respirer comme une musique donnant des sons qui ont un sens par rapport à des silences, comme une peinture de chevalet  qui joue sur les pleins et les vides, ne faut-il pas s’interroger sur la densité visuelle qui impose un trop grand nombre de peintures, d’autant plus que l’espace vide au sol est de faible dimension ?

Une deuxième question s’impose aussi, concernant l’iconographie de la plupart de ces peintures, de ces objets. Jean Baudrillard écrit dans Le Système des objets : « derrière chaque objet réel, il y a un objet rêvé, écrit ». Pourquoi s’agit-il souvent d’immenses portraits, immenses par rapport à la taille des habitants, des passants ? Un habitant, très connaisseur des pays de l’Est et des « dictatures » d’Asie me disait qu’il n’y a que dans ces pays que l’on impose des images gigantesques aux citoyens. Sans reprendre complètement cette opinion, je pense que la taille des figures humaines a du sens par rapport aux Parisiens. Alors, quel rêve ? Quel sens ? Est-ce le symbole d’un pouvoir qui se voudrait plus grand ou la décoration-collection d’un magasin trop fourni ?

Jean-François Einhorn