Il y a tour et tour

Thierry Paquot détaille la conjonction, à la fin du XIXe siècle, de la nécessité de construire des bureaux et de la capacité technique de construire en hauteur (utilisation des métaux, du béton, apparition des ascenseurs, du téléphone…) qui a permis les premiers gratte-ciel. Il montre bien comment est née à Manhattan cette innovation qui a séduit le monde entier. Et il critique les décalques conçus pour battre des records en des lieux où le terrain ne manque pas. Bien des projets sont déraisonnables, certaines tours risquent de ne pas servir longtemps. L’auteur pense à certains États du Moyen-Orient, on pense aussi à la Corée du Nord.
La critique radicale des immeubles de grande hauteur (IGH), qui semble la raison d’être de l’ouvrage, est moins convaincante. Celle des tours de bureaux est dans l’air du temps (mais de quel type d’immeubles de bureaux oserait-on faire l’apologie ?). Thierry Paquot rejette avec la même vigueur les tours d’habitation du front de Seine ou celles des Olympiades. Misère d’une architecture minimaliste, déplore-t-il, erreur que constitue la construction sur dalle et charges trop élevées pour les classes moyennes.
Certes, mais on regrette que son évocation du treizième reste lacunaire. Il n’est jamais question du vécu des habitants, l’auteur ne fait pas référence à leur expérience d’habiter pour la première fois une tour qui souvent les a eux-mêmes étonnés. Beaucoup sont venus parce que ce n’était pas cher à l’achat ou qu’on leur proposait ce bien en location. Et souvent, surtout s’ils habitent en hauteur, ils sont restés, parce qu’ils s’y trouvaient bien. Ce qui manque au fil des pages, c’est la comparaison de cet habitat avec les autres, dans les mêmes tranches de prix (loyer ou achat compris, et pas en comparant uniquement les charges sans tenir compte ni du loyer ou du prix d’achat, ni des services offerts). Cette question mériterait d’être étudiée.

Jacques Goulet

Thierry Paquot, La Folie des hauteurs. Pourquoi s’obstiner à
construire des tours ?
, Bourin éditeur, 240 p., 19 €.

Se servir de ses extrémités pour rejoindre les terminaux…

Article paru dans la Lettre d’Ada 13, n° 2, janvier 2009

A Paris, en général, en particulier dans le 13e, le décor se transforme chaque jour, ou presque. Le changement peut être monumental, comme la Très Grande Bibliothèque qui ouvre ses très grands livres sur les rives de la Seine, ou la passerelle Simone de Beauvoir qui l’enjambe élégamment. Il peut être aussi plus discret en modifiant dans la durée nos pratiques quotidiennes et notre regard sur la façon de vivre la ville : Ainsi le tram qui, relayant les sentinelles des « fortif’ », permet enfin de contourner la ville sans bruit, et à une allure compatible avec la vie des riverains et de ses propres usagers. Ainsi les deux roues, particulièrement le non moins silencieux vélo, qui disposent désormais d’un très efficace réseau de circulation grâce à l’organisation des rues du 13e et aux nombreuses pistes cyclables créées dans la foulée de Vélib’.

Rouler sans moteur et sans bruit paraissait pourtant, il y a peu, relever du rêve, sympathique mais bien peu réaliste ; se servir de ses pieds pour se déplacer, une contrainte inévitable qu’on cherchait à limiter au strict nécessaire : rejoindre la station de métro la plus proche, aller jusqu’à sa voiture, faire quelques pas pour héler un taxi. Le vélo, et les équipements qui en facilitent l’usage, modifient peu à peu les habitudes, et nous rendent l’usage de notre corps. Plus rapide que la marche à pied (du double au moins, en moyenne), il devient, grâce à ses itinéraires protégés, un moyen de déplacement honorablement concurrentiel des moyens mécaniques (1). La vitesse des voitures diminuerait, compte tenu de la saturation de l’espace – pourtant important- qui leur est réservé ; tandis que celle des transports en commun, (métro, bus, ou tram) grâce à leurs sites propres, et celle des vélos, d’une utilisation très souple dans l’espace circulable, offrent fréquemment des performances supérieures, ou du moins tout à fait comparables.
Certes, en nous dépouillant de notre carapace de tôle et du confort de l’habitacle, le vélo nous expose physiquement à la chute, la collision, la pluie ou, pire, au verglas. Cependant, nous sommes protégés par la vitesse réduite de notre monture, qui nous permet un arrêt pratiquement instantané. Et surtout par le grand nombre des trajets sécurisés à l’abri de rencontres intempestives et dangereuses. Et nous arrivons directement là où nous allons, depuis là où nous sommes, sans attentes et sans ruptures de charge.

Bien sûr, il faut pédaler . Certains objectent à l’usage du vélo la contrainte de cet effort, alors qu’ils n’hésitent pas à prendre leur voiture pour se rendre au gymnase, parfois voisin, où ils vont justement « pédaler », pendant plus d’une demi-heure ; alors qu’on rejoint facilement, dans le même temps et en vrai vélo, l’Église de Pantin depuis la Porte de Choisy, en longeant presque tout du long les belles rives du canal St Martin. Avec en prime le plaisir de dire bonjour aux voisins, ou de sourire aux passants.
Et si le trajet est plus long, et que la situation s’y prête, le vélo permet aussi de l’abréger en rejoignant directement le terminal visé : pour La Défense j’irai en vélo des Olympiades à la Gare de Lyon ou, pour Roissy, j’irai à Cité Universitaire par les Maréchaux (très bien protégés, sauf verglas…), évitant correspondances et pertes de temps.
A l’heure où l’on valorise le corps en mettant surtout en avant des techniques qui compensent, d’ailleurs bien mal, nos manques d’effort physique au quotidien, pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable en changeant (un peu !) de vie ?

(1) Les vitesses respectives des différents modes de déplacements à Paris tendent en effet, comme le montrent différentes études (voir Urbanisme n° 359, mars-avril 2008), vers une homogénéisation relative.

Edgar Boutilié